Cécile Desoutter, Claudia Zoratti
 
INTERNET ET LA COMPETENCE DE LECTURE EN FLE
 

 Il est temps de renoncer à la chimère d'une société multimédia dans laquelle

l'image supplanterait l'écrit rendant superflu l'apprentissage de la lecture.

J. F. Rouet 

 

Aujourd'hui, la diffusion des nouvelles technologies et en particulier d'Internet, contribue à réhabiliter l'écrit dans la vie quotidienne en nous exposant à des situations de lecture jusqu'alors inexistantes: consultation de sites, du courrier électronique...
 
Quelque soit le cursus universitaire suivi, tout étudiant est amené à lire en langue étrangère des documents écrits pour étudier (préparation d'exposés, rédaction de mémoires de maîtrise...), s'informer (lecture de la presse étrangère en ligne ou hors ligne, recherche de stages...) ou communiquer (échange de messages écrits...).
 
L'activité lecturale semble donc vouée à retrouver un rôle de plus en plus important dans l'enseignement/apprentissage des langues étrangères. Ce développement de l'écrit nous conduit à nous demander si les compétences de lecture appliquées à des documents imprimés sont transférables aux supports hypermédias.
 
Pour apporter des éléments de réponses à cette question, nous rappellerons brièvement les résultats des recherches sur la lecture en français langue étrangère avant de présenter quelques caractéristiques de la cyberlecture. A la lueur de ces observations, nous analyserons ensuite trois sites Internet proposant des activités d'apprentissage liées à la compréhension de documents écrits.
 
 
1. La compétence de lecture: du papier à l'écran
 
1.1. Quelles démarches pour acquérir une compétence de lecture?
 
1.1.1. L'approche globale et interactive
 
Depuis environ une décennie, les pratiques pédagogiques adoptées pour faire acquérir une compétence lecturale en langue étrangère sont fondées sur une approche interactive de la lecture. 1 "Si l'on considère que lire un texte, c'est comprendre et mémoriser des informations transmises par un texte, cette activité ne peut se concevoir que dans le cadre d'un processus interactif qui met en relation le texte et le lecteur" (Vigner: 1996, 63). L'acte lectural est envisagé comme une activité cognitive et perceptive où l'apprenant reconstruit le sens du texte à l'aide de ses compétences aux composantes multiples: linguistique, textuelle, référentielle, culturelle ou encyclopédique. Le lecteur effectue un va-et-vient continuel entre le document écrit et ses savoirs et compétences.
 
Ce concept de lecture active reprend les principes de l'approche dite globale introduite par S. Moirand et D. Lehman. Elle découle d'un "objectif pédagogique précis: permettre aux apprenants d'accéder au sens général (...) d'un texte sans le déchiffrer terme à terme, sans le subvocaliser..." (Lehman, Moirand: 1980, 79). Il s'agit donc d'une pratique non linéaire qui se traduit par des lectures-balayages au cours desquelles le lecteur explore le texte à l'aide de consignes et repère les indices iconiques, discursifs, formels, thématiques, énonciatifs porteurs de sens... Ainsi, l'apprenant est amené à formuler des hypothèses sur le contenu du document écrit et son fonctionnement linguistique. Ce type de démarche vise à "développer (...) une compétence de lecture onomasiologique (du sens aux signes qui en rendent compte) plutôt que sémasiologique (des signes au sens qu'ils expriment)" (Besse et Porquier: 1984, 165). 2
 
Rappelons que l'approche globale et interactive s'appuie à la fois sur les théories de l'énonciation (Jakobson, Benveniste, Bally), la linguistique textuelle (Darot, Beacco, Moirand, Portine, Vigner, Adam) et la grammaire de texte. Elle dérive aussi de la didactique fonctionnelle de la lecture (Vigner). A ces apports, s'ajoutent ceux du dialogisme (Bakhtine), 3 de la pragmatique (Austin, Searle) et de l'ethnologie de la communication (De Salins).
 
 
1.1.2. Les théories perceptivo-cognitives
 
Les théories perceptivo-cognitives élaborées par les psychologues, les psycholinguistes et les cognitivistes ont également contribué au développement des démarches globales et interactives. Les études concernant la perception visuelle au cours de l'acte lectural (Javal, Smith, Richaudeau) ont apporté des éclairages intéressants sur la vitesse de lecture et la capacité perceptuelle (l'empan visuel). Les travaux effectués par Richaudeau 4 sur la lecture rapide s'inscrivent dans le prolongement de ces découvertes. Ces données s'avèrent utiles, comme le souligne Michel Dabène (1987), pour la phase d'anticipation du sens du texte et elles permettent de mieux comprendre comment les mouvements oculaires explorent le texte. 5
 
Les psychologues cognitivistes (Smith, Charolles) ont, en particulier, élaboré des théories sur le fonctionnement de la mémoire (mémoire à court terme, mémoire à long terme) et sur le traitement des données lors du processus de compréhension. Ils ont permis d'identifier les opérations mises en oeuvre au cours de l'acte lectural (opérations de haut niveau et de bas niveau). 6
 
 
1.1.3. La centration sur l'apprenant
 
C'est également grâce aux cognitivistes que l'apprenant a été placé au centre du processus d'acquisition et que l'on a étudié et tenu compte de ses activités mentales et de ses stratégies d'apprentissage.
 
Dans la perspective d'un enseignement/apprentissage de la lecture, la connaissance de l'apprenant-lecteur, de ses habitudes, de ses savoirs et de ses stratégies s'avère donc décisive car ces données permettent de mieux orienter les activités de lecture proposées. A cet effet, certains didacticiens comme C. Cornaire (1999), suggèrent de préparer un questionnaire afin de sensibiliser les apprenants au concept de stratégie.
 
Le dictionnaire Le Robert définit la stratégie comme "un ensemble d'actions coordonnées, de manoeuvres en vue d'une victoire." Le questionnaire présenté en annexe (pp. 216-218) et élaboré par nos soins pour des étudiants impliqués dans des cursus de sciences politiques et d'économie a pour but d'amener les apprenants à réfléchir à leurs pratiques de lecture d'articles de presse et aux moyens qu'ils mettent en oeuvre pour gagner l'accès au sens. La première partie porte sur les habitudes en langue maternelle: fréquence de lecture, techniques utilisées pour aborder un article (observation d'éléments contextuels) et modalités de lecture (linéaire et intégrale ou globale et délinéarisée).
 
La deuxième partie aborde les habitudes de lecture en langue étrangère. Elle concerne les opérations cognitives mises en oeuvre pour saisir le sens d'un texte (recours à la traduction mentale, utilisation des connaissances textuelles...) et les modalités de lecture. Elle met aussi en évidence les stratégies mnémoniques 7 utilisées et la façon dont l'apprenant-lecteur réagit face aux difficultés: recourt-il à des stratégies compensatoires (en s'aidant du contexte ou d'un dictionnaire) ou à des stratégies socio-affectives (en s'adressant au professeur ou à son voisin pour connaître la signification d'un mot)?
 
L'avant-dernière question permet d'identifier le type d'obstacles rencontrés par l'apprenant lors de l'accès à l'écrit. D'après les réponses fournies, les difficultés viennent d'abord d'une mauvaise connaissance des schémas de contenu 8 (culture française, référence à l'actualité, thème traité...), puis de celle des schémas formels (organisation du texte) et enfin de celle des schémas linguistiques (connaissance de la langue).
Un questionnaire de ce type permet de mettre en évidence les différents profils de lecteurs et de planifier des activités qui visent à faire acquérir à l'apprenant des stratégies de lecture efficace comme le souligne C. Cornaire (1999). En effet, il ne s'agit pas tout simplement de transférer en langue étrangère les stratégies utilisées en langue maternelle pour acquérir une compétence de lecture car les modèles de lecture sont différents. Lorsque la langue est mal maîtrisée, la lecture est plus lente, fragmentée et elle s'accompagne souvent d'une subvocalisation. De plus, le lecteur sait adapter en langue maternelle, ses stratégies en fonction de ses objectifs (lecture-loisir, lecture-reconnaissance, lecture-découverte, lecture-action (Cicurel: 1991) alors que cela lui est plus difficile en langue d'apprentissage.
 
Certains chercheurs ont essayé de brosser le profil du bon lecteur (Coste: 1978, Cicurel: 1991, Cornaire: 1999). Parmi les stratégies reconnues, C. Cornaire (1999, 40) signale "l'esquive de la difficulté, le balayage, l'écrémage, la lecture critique, l'utilisation du contexte, de l'inférence et des connaissances antérieures et l'objectivation".
 
Il est donc nécessaire d'exposer les apprenants à ces stratégies afin qu'ils sélectionnent celles qui leur semblent les plus appropriées pour accéder au sens. Or, d'après les réponses fournies au questionnaire distribué, il s'avère que les fiches de lecture guidée, parce qu'elles proposent différentes pistes d'exploration des textes, permettent de s'initier à de telles stratégies.
 
Les nombreuses études sur l'acquisition de la compétence de lecture en FLE ont eu une grande influence sur les pratiques d'enseignement. Les termes évoqués ci-dessus d'interactivité, d'indices iconiques, d'empan visuel, de lecture non linéaire sont ainsi devenus familiers à de nombreux praticiens bien avant qu'ils n'utilisent l'ordinateur. Mais, il s'agissait de notions qui s'appliquaient à la lecture de documents imprimés. Or, l'état actuel de la recherche ne permet pas d'affirmer que les stratégies utilisées pour comprendre un texte sur support papier soient directement transférables à la lecture sur support hypermédia.
 
 
1.2. Quelques caractéristiques de la cyberlecture
 
1.2.1. L'hypertextualité
 
"L'utilisation des systèmes hypermédias est à la fois très proche et très différente de la lecture de documents conventionnels (...). Dans les deux cas, il s'agit de lire et de comprendre des informations essentiellement verbales" (Rouet: 2000, 10). Toutefois, le réseau Internet se caractérise par sa structure hypertextuelle, sa multicanalité, 9 sa multiréférentialité 10 et son interactivité. 11 Grâce à l'hypertexte introduit par Vannevar Bush en 1945 mais diffusé largement seulement à partir des années 80, l'internaute peut consulter un document puis accéder par le biais de liens à d'autres sites. Les renvois thématiques prévus à l'intérieur de certains sites, en particulier dans le cas de la presse électronique, permettent de resituer l'information dans son contexte et d'en avoir une vision plus globale. Cependant, si ce contexte est celui d'un environnement culturel, factuel et linguistique éloigné du lecteur, l'information risque d'apparaître obscure et fragmentée parce qu'elle est "extraite du tissu vivant qui l'entoure et qui permet de la comprendre" (Lancien: 1998, 100). Rappelons toutefois qu'il s'agit d'un obstacle commun à la compréhension de tout matériau "authentique" car, en situation d'apprentissage, l'apprenant est souvent confronté à la lecture de documents détachés de l'ensemble de circonstances dans lesquelles ils ont été produits.
 
Sur la Toile, l'utilisateur navigue selon ses centres d'intérêts et il est amené à construire lui-même un parcours personnalisé. La consultation de sites en vue de la recherche d'informations &endash; et donc la lecture &endash; s'inscrit dans une optique interactive: interactivité entre le texte et le cyberlecteur tout comme dans les démarches de lecture traditionnelles abordées précédemment, mais aussi interactivité technologique dans le sens où elle est générée par les actions de l'utilisateur sur l'interface 12 de navigation. Le processus est aussi interactionnel 13 si l'internaute peut contacter l'auteur du document par courrier électronique. Lorsque l'on se réfère à la presse en ligne, il semble donc évident que ces caractéristiques présentent de nombreux attraits par rapport au journal imprimé et modifient les habitudes de lecture traditionnelle. En effet, si le lecteur était habitué à une approche linéaire, les modes de consultation liés à la recherche d'informations marginalisent cette pratique.
Certes, le texte a toujours été lieu de renvois à d'autres textes ou espaces textuels, mais avec l'hypertexte, ces renvois sont plus explicites, plus mécaniques et plus immédiats. L'internaute aura donc besoin d'une dose accrue de gestion métacognitive pour s'orienter, faire des choix, revenir en arrière si besoin est, intégrer de multiples sources d'information...
 
L'utilisation du réseau contribue aussi à enrichir la compétence référentielle de l'apprenant c'est-à-dire "la connaissance des objets du monde et de leurs relations" selon la définition de S. Moirand (1982). En effet, la toile allie apprentissage et actualité, langue et simultanéité. Le fait que les sites Internet soient continuellement mis à jour ne constitue pas, cependant, toujours un atout. Lorsque leur contenu est renouvelé, une partie, voire même, tous les documents disparaissent, quand ce n'est pas l'ensemble du site qui change. L'information sur le réseau se caractérise donc par son aspect éphémère si on ne prend pas soin de la télécharger.
 
 
1.2.2. La lecture sur écran
 
Avec le support électronique, l'accès matériel au texte requiert des savoir-faire techniques que les apprenants ont le plus souvent acquis parce qu'ils consultent déjà des sites Internet italiens. Ils devront par contre, posséder les connaissances linguistiques nécessaires pour comprendre les consignes d'utilisation des sites, se repérer sur l'écran, s'orienter dans les moteurs de recherche français. En outre, la présentation du matériau à lire change de par l'organisation de l'écran (le texte apparaît en défilé, en profondeur, en superposition ou en marge) et la disparition de l'objet que l'on peut manipuler (le livre, le journal, la feuille de papier...). Le cyberlecteur n'a plus de repères par rapport à l'ensemble du document car sa vision se limite à la page écran. C'est donc le processus de lecture qui change. Pour construire du sens et trouver le fil conducteur du texte, l'apprenant doit solliciter sa mémoire courte de façon particulière du fait que "l'apparition d'une nouvelle page-écran occulte la précédente et a fortiori toutes celles qui lui sont antérieures" (Dévelotte: 1998, 429).
 
Rouet souligne aussi le risque de surcharge cognitive car l'internaute ne peut retenir tous les éléments qui lui "permettraient de donner de la cohérence à l'environnement dans lequel il évolue. L'utilisateur d'un hypermédia mal structuré peut ainsi papillonner à l'infini sans apprendre ou retenir quoique ce soit de substantiel" (p. 14).
Les nouvelles technologies ne sont donc pas systématiquement des solutions miracles à l'acquisition d'une compétence de lecture tout dépend de l'utilisation que l'on en fait.
 
 
1.2.3. Un projet pédagogique nécessaire
 
"Pour qu'il y ait apprentissage, il ne suffit pas d'ouvrir des fenêtres, de parcourir des hyperespaces (...). Encore faut-il que l'ensemble de ces opérations soit piloté par un sujet en quête d'informations afin de réaliser un but d'apprentissage, lequel s'insère dans un projet social" (Belisle: 1998). La consultation de sites pourra donc être bénéfique lorsque l'apprenant sera placé dans un rôle actif de recherche d'information ou dans un rôle créatif de production. Il incombe à l'enseignant/formateur de prévoir un scénario pédagogique: à cet effet, il procédera à la présélection des sites à explorer puis il fixera un objectif de lecture et définira la forme que doit prendre la production finale de façon que l'apprenant soit mis en situation de transformer et valoriser les informations cherchées.
 
Des tâches de ce type "mettent en oeuvre chez l'apprenant des stratégies qui lui permettent de créer ses propres associations entre des éléments dispersés et de le mettre en position d'auteur" (Chanier: 1998).
 
Toutefois, lorsque les tâches assignées sont réalisées individuellement en auto-apprentissage, il est important qu'elles soient accompagnées d'une évaluation ou d'un corrigé afin que l'apprenant puisse évaluer ses propres performances.
 
 
2. Parcours guidés sur Internet
 
Sur la Toile, il existe de plus en plus de sites spécialisés dans l'apprentissage/enseignement du FLE qui proposent des activités organisées par domaine de la langue (grammaire, lexique), par aptitude (compréhension écrite ou orale, expression écrite) ou par objectif d'utilisation de l'outil Internet (communication, documentation, publication, travail collaboratif, travail individuel). 14 Ces sites présentent une très grande diversité tant du point de vue de la forme que du fond, mais ce qui les caractérise souvent, c'est le traditionalisme dans l'approche de la langue et le faible recours aux spécificités d'Internet. Il est vrai qu'actuellement Internet ne possède pas l'agilité nécessaire dans la navigation pour rendre effectif un cours de langue étrangère comme celui qu'on peut consulter sur un cédérom avec ses archives de son et d'images qui seraient très lents à télécharger (Lancien: 1998, 103; Tome: 1999, 2597).
 
Curieusement, parmi les dispositifs d'autoformation guidée, très peu concernent spécifiquement la compétence de lecture. Ainsi, la consultation de plusieurs moteurs de recherche, annuaires et listes de ressources sur le FLE nous a permis de sélectionner seulement trois sites affichant cet objectif didactique prioritaire et proposant des activités de lecture guidée.
 
2.1. Cartes d'identité des sites
 

Nom du site

Date de création

Adresse

Concepteur

Lire-français
juin 1997
www.lire-francais.com
@tlantel multimédia

avec le soutien de la région Aquitaine et en collaboration avec le département de langues de l'université de Borseaux II

Bonjour de France
1998

www.bonjourdefrance.com

L'équipe de professeurs des centres de langue Azurlingua de Nice et Ciel de Brest

Internet Actuel
nd

www.vanin.be/nvanin/

nedtekst/n36actuel/

n36_002.html

La maison d'édition Van In (Lier, Belgique) en collaboration avec une équipe dirigée par le prof. W.Decoo (Uni. Anvers-Be et Uni. Brigham Young-USA)

 
2.2. Les projets pédagogiques
 
Pour qu'un site d'apprentissage puisse être utilisé en autonomie, il faut que l'apprenant puisse s'y repérer matériellement et intellectuellement. D'un côté, il doit pouvoir naviguer facilement dans l'hypertexte et sur l'écran: revenir au sommaire ou à une page quelconque, retrouver un exercice, afficher une fenêtre défilante dans le coin d'une page écran... De l'autre, il doit être clairement informé sur les présupposés, les objectifs et les démarches qui sous-tendent le scénario pédagogique proposé. "Sans cela, il court le risque de ne pas pouvoir évaluer l'intérêt que le site peut présenter ou non par rapport à son apprentissage" (Lancien: 1998, 103).
 
Lire-français, dans sa rubrique "Parcours de lecture" propose aux internautes étrangers, intéressés par la lecture et l'apprentissage du français, un itinéraire à base d'exercices et de jeux conçus autour d'articles issus du quotidien régional Sud-Ouest. L'objectif clairement annoncé par les concepteurs est de mettre en oeuvre chez le lecteur/apprenant de FLE des stratégies de lecture qu'il pourra ensuite appliquer à d'autres articles en français.
 
La partie intitulée "mode d'emploi", renseigne sur la méthodologie adoptée par les créateurs du site. Dans un style très convivial, ces derniers amènent l'apprenant à se questionner sur sa façon de lire en langue maternelle et en langue étrangère. Puis ils lui donnent des conseil généraux pour aborder les textes et lui proposent un accompagnement dans ce qui correspond à l'approche globale de l'écrit telle qu'elle a été exposée dans la première partie de cet article 15: repérages de surface, découvertes d'indices et vérification des hypothèses sur le sens. Avec ces indications, l'utilisateur du site qui travaille en autonomie sait où il va et avec qui: il n'est pas complètement seul avec la machine.
 
Il risque cependant d'éprouver quelques difficultés pour choisir les documents sur lesquels il veut exercer sa compréhension. En effet, les textes proposés relèvent des différents genres de la presse (éditorial, reportage, brève, courrier des lecteurs...) et sont classés comme dans les rubriques d'un quotidien, mais le thème et le niveau de langue correspondant à chacun d'eux ne sont indiqués nulle part. A l'usage, on constatera cependant que les consignes de lecture tout comme les textes s'adressent à des lecteurs maîtrisant déjà bien la langue.
 
Bonjour de France, à l'inverse, base sa présentation des documents sur le niveau des apprenants. Le site héberge un magazine trimestriel 16 en ligne pour étudiants de FLE découpé en six rubriques (découverte d'une région, jeux, tribune...). Les activités strictement ciblées sur la compréhension écrite occupent une place importante, mais non centrale, dans l'ensemble des propositions didactiques. C'est en cliquant sur la rubrique "Apprentissage" que l'on trouve des textes classés par niveaux de difficulté: 17 aux deux premiers niveaux, on découvre des dialogues fabriqués et des documents pédagogisés, aux niveaux supérieurs, il s'agit de textes "authentiques" en général extraits de la presse. Cette présentation &endash; relativement scolaire dans le fond et dans la forme 18 &endash; rassure certainement l'apprenant qui ne craint pas d'errer dans un univers inconnu et incompréhensible. On regrettera toutefois que l'utilisateur ne trouve aucune indication sur l'objectif pédagogique des concepteurs.
 
Internet Actuel annonce quant à lui des textes authentiques (articles de presse, chansons...) normés sur le niveau lexical et grammatical des méthodes commercialisées par la maison d'édition Vanin. Les textes sont ici répertoriés par date, niveau ou thème, ce qui permet une orientation aisée, surtout pour ceux qui connaissent les méthodes en question. Dans la page de présentation les concepteurs s'adressent au professeur, lui suggérant de faire lire directement le texte sur écran ou de l'imprimer. Ils donnent également quelques indications sur le type de tâches proposées par le site: "lire pour s'informer, en discuter en classe, écrire un résumé, découvrir des éléments lexicaux ou grammaticaux..."
Des trois sites, seul Lire-français présente donc un véritable projet pédagogique d'entraînement à la lecture, projet que les concepteurs entendent bien faire partager aux utilisateurs.
 
 
2.3. Les apports d'Internet
 
Proposer un projet pédagogique clair n'est pas une exclusivité des TIC et l'on peut parfaitement concevoir des produits didactiques traditionnels, réalisés sur papier et présentant de telles caractéristiques. Puisqu'on prétend que les nouvelles technologies doivent apporter des améliorations dans le domaine de l'enseignement/apprentissage, en dépassant certaines contraintes du contexte traditionnel de la classe, il nous a paru intéressant d'analyser ce que les trois sites précédemment cités offrent d'original à ce point de vue.
 
 
2.3.1. Une présentation hypertextuelle
 
Dans les sites que nous analysons ici, la richesse de la forme est étroitement liée à celle du fond: les plus élaborés au niveau technique, sont ceux qui proposent les parcours de lecture les plus intéressants, les plus agréables et certainement les plus efficaces. Inversement, les plus pauvres techniquement sont aussi limités quant aux possibilités offertes en matière d'auto-apprentissage.
 
Dans le site Internet Actuel, la structure est totalement linéaire, chaque document se déroule comme un volumen 19 qui fait apparaître d'abord un tableau présentant quelques mots de vocabulaire expliqués, puis le texte à étudier, puis une exploitation pédagogique sous forme de questions ouvertes (sans proposition de corrigés) et enfin une rubrique proposant des adresses de sites "pour en savoir plus". L'abscence totale d'élément hypertextuel rend la navigation en profondeur dans le site impossible: on peut seulement faire défiler le document de haut en bas. Dans ce cas, la lecture sur écran montre ses limites et l'on aurait tendance à préférer que les textes à étudier soient présentés sur un support papier traditionnel. 20 On sait bien, en effet, que l'écran d'ordinateur limite l'empan visuel et segmente la lecture. Si ce site peu interactif semble difficilement utilisable dans le cadre d'un apprentissage en autonomie, il présente néanmoins un certain intérêt pour les enseignants 21 qui peuvent y puiser -pour les imprimer- des textes normés par niveau de difficulté, sélectionnés par des collègues et assortis de pistes de réflexion.
 
Bonjour de France, organise son scénario pédagogique autour de quelques instruments qu'offre la technologie. D'une part, les textes sont assortis d'aides à la compréhension sous forme d'éléments hypertextuels: en cliquant sur les mots soulignés en rouge ou en bleu on accède à des explications lexicales et grammaticales. D'autre part, à la fin de chaque texte, l'utilisateur peut se tester au moyen d'un questionnaire qui s'affiche sur une nouvelle feuille écran. Il s'agit d'un QCM portant sur des éléments de compréhension du document; un clic supplémentaire permet d'obtenir le corrigé. Ces aides mises en oeuvre sont intéressantes et attrayantes dans le cadre d'un auto-apprentissage; nul doute ici que l'écran dans sa présentation aérée et colorée, grâce auquel il est possible de naviguer facilement et rapidement à l'intérieur du document, permet le plaisir de la vélocité et de l'immédiat que n'offre pas la page imprimée. 22 On peut toutefois se demander ce que l'apprenant saura réinvestir dans une autre situation de lecture, en effet la technologie se heurte ici aux limites d'une démarche pédagogique assez traditionnelle. La possibilité d'avoir un accès immédiat à des explications lexicales ou grammaticales (sans inciter l'apprenant à utiliser le contexte pour accéder au sens) et à un questionnaire d'évaluation de la compréhension fourni après la lecture constitue-t-elle un véritable soutien à l'auto-apprentissage? L'objectif des sites didactiques doit-il être seulement d'aider à comprendre ou ne doit-il pas aussi être d'aider à apprendre, "c'est-à-dire de développer la métacognition en permettant à l'apprenant de prendre conscience de ses manques et d'y remédier, d'aider la mise en mémoire et de favoriser des processus de haut niveau pour la compréhension d'une langue étrangère" (Pothier: 1998, 152)?
 
A cet égard, Lire-français utilise avec grande efficacité la technologie au service du projet pédagogique que nous avons présenté plus haut. Chaque parcours de lecture est organisé sous forme de menu en trois étapes (comprendre, utiliser, approfondir) indépendantes les unes des autres et accessibles par simple clicage. Après avoir choisi dans les différentes rubriques l'article qu'il veut lire, l'apprenant est invité -s'il le désire- à cliquer sur "comprendre". Un guide s'affiche alors sur la partie gauche de l'écran, à côté du texte de l'article, ce qui permet d'avoir simultanément les deux énoncés sous les yeux. Le guide se présente sous forme de QCM, les questions visant à la fois à faire acquérir au lecteur une technique de lecture globale 23 et à vérifier sa compréhension. 24 L'étape "utiliser" propose des exercices sur des points de grammaire rencontrés dans l'article: il s'agit d'un travail sur les structures de la langue. A tout moment, il est possible de cliquer sur l'icône "outils" pour accéder à un guide grammatical et au dictionnaire Hachette multimédia. La troisième étape "approfondir" est constituée d'activités autour du thème de l'article. Ces activités peuvent être d'ordre linguistique, métalinguistique ou culturelle et amènent l'utilisateur à exploiter d'autres parties du site Lire-français ou des sites externes. L'apprenant a ainsi une possibilité d'accès à la documentation sur la Toile: un simple clicage l'envoie directement sur le site suggéré par les concepteurs.
 
 
 
2.3.2. Le multimédia
 
Avec Bonjour de France, il est possible d'écouter les textes en "real audio". La coexistence phonie/graphie donne la possibilité de dissocier l'un ou l'autre canal et de travailler sur les deux dimensions de la langue. Par ailleurs, cette bi-dimensionnalité permet de mieux respecter "le style cognitif" de l'utilisateur plus ou moins visuel ou auditif (Dévelotte: 1997, 1998).
 
On appréciera de la même façon les photos qui accompagnent presque systématiquement les documents proposés par Internet Actuel, l'illustration étant sans nul doute un indice très fort d'anticipation du contenu. En indiquant l'adresse des sites officiels des chanteurs dont il propose le texte des chansons, le site permet également l'accès à une version musicale. On pourrait dès lors s'étonner que Lire-français, qui est par ailleurs le site le plus riche, se limite strictement à l'écrit. Mais ce serait ne pas tenir compte que l'oralisation des textes ne sied pas à toutes les approches didactiques et qu'en particulier elle n'est pas du tout adaptée à l'approche globale adoptée par l'équipe conceptrice.
 
 
2.3.4. La convivialité
 
Lieu de ressources et d'environnement d'apprentissage, Internet est aussi avant tout un vecteur de communication. Nous avons été étonnées de constater que les sites analysés, peut-être parce qu'ils se consacrent essentiellement à la compréhension écrite, ne proposent pas de forum de discussion. 25 Les thèmes abordés pourraient pourtant donner lieu pour chaque document exploité à des échanges intéressants et enrichissants entre des apprenants appartenant à des aires géographiques et linguistiques diverses. Or, les propositions d'interaction sont strictement binaires, c'est-à-dire qu'elles ne se situent pas entre tous les utilisateurs mais se limitent en fait à la possibilité pour un utilisateur d'entrer en contact avec le ou les concepteurs des propositions pédagogiques. Ainsi, Internet Actuel recommande, dans sa page de présentation, de signaler des textes intéressants qui pourraient être inclus dans le site. Il encourage les professeurs à collaborer à la préparation des textes. Dans Bonjour de France, chaque proposition pédagogique est signée et les lecteurs sont invités à envoyer leurs réactions au concepteur concerné.
 
 
2.4. L'évaluation de la compréhension et le traitement des erreurs
 
Pour évaluer la compréhension, les sites d'apprentissage proposent des QCM, parfois aussi des appariements ou des textes lacunaires. Ce mode d'évaluation rassure le lecteur en lui permettant de choisir parmi un ensemble fini de réponses possibles. Il permet également au concepteur de l'exercice de fournir la bonne réponse. Cependant, l'apprenant peut parfaitement deviner la réponse juste sans avoir compris la question. Par ailleurs, s'il s'est trompé, il n'aura aucun commentaire sur les raisons de son erreur, ce qui risque de provoquer chez lui une certaine frustation, mais surtout ne lui permettra pas de progresser dans son apprentissage. Parfois, l'apprenant peut même afficher son score à l'issue du questionnaire, mais il ne s'agit là que d'une évaluation sommative de sa prestation. Si l'état actuel de la technologie ne le permet pas encore, on peut tout de même espérer que la machine puisse un jour proposer aussi, comme sait le faire l'enseignant, une évaluation formative. "Dans ce domaine, on revient à une problématique largement posée par l'utilisation des ordinateurs avec la recherche d'un tuteur intelligent qui surveillerait les démarches des apprenants et proposerait des activités en fonction des erreurs et des réussites" (Barbot: 1998, 57).
 
On s'attendait à trouver sur les sites d'apprentissage une méthodologie propre au support électronique. Or, l'analyse a démontré que, le plus souvent, les concepteurs proposent des démarches qui ne diffèrent pas fondamentalement de celles liées à la lecture de textes imprimés.
 
Dans le cas de Lire-français, il semble toutefois que le recours à l'approche globale se révèle plutôt efficace, d'autant plus que les concepteurs ont su exploiter la structure hypertextuelle en multipliant les possibilités de parcours.
 
Puisqu'il est évident que l'apprentissage/enseignement de la cyberlecture en langue étrangère peut se faire seulement en utilisant des supports électroniques, il faut espérer que les sites pédagogiques se multiplieront en tenant compte des progrès qui seront réalisés dans la connaissance des processus de lecture hypermédia. A l'heure où l'autonomie est un des enjeux fondamentaux de l'éducation, ces sites permettront de développer les possibilités pour l'apprenant de travailler en auto-apprentissage.
 
Questionnaire sur les stratégies de lecture
 
 
Quel lecteur êtes-vous?
 
Lisez-vous la presse de votre pays?
 

a) tous les jours

c) 1 fois par semaine

b) 3 fois par semaine

d) plus rarement

Comment lisez-vous un article en italien?
 
a) Vous observez d'abord le titre, la rubrique, la signature.
b) Les illustrations, les titres, la mise en page du texte ne retiennent pas particulièrement votre attention, vous lisez directement l'article.
 
a) Vous lisez tout l'article sans sauter un mot ou une ligne.
b) Vous parcourez rapidement le texte puis vous faites une lecture détaillée si le sujet vous intéresse.
 
 
Comment lisez-vous en français un article de journal?
Comment abordez-vous la lecture?
 
a) Vous traduisez mentalement en italien.
b) Vous ne traduisez pas.
 
a) Vous lisez le texte de manière linéaire: vous lisez tout, tout de suite.
b) Vous parcourez rapidement le texte pour en saisir le sens global.
 
a) Vous prêtez attention à l'articulation (l'organisation) du texte.
b) Vous pensez que retrouver le plan du texte est une perte de temps.
c) L'organisation du texte n'influence pas la compréhension.
 
Qu'est-ce qui retient le plus votre attention?
 
a) La signification de chaque mot.
b) La signification de chaque phrase.
c) La signification de chaque paragraphe.
 
Comment retenez-vous les éléments essentiels du texte?
 
a) Vous soulignez les passages ou les mots qui vous semblent importants.
b) Vous prenez des notes.
c) Vous mémorisez.
 
Comment réagissez-vous face aux difficultés?
a) Vous sautez les mots que vous ne comprenez pas et vous continuez votre lecture.
b) Vous soulignez les mots inconnus, puis vous les cherchez dans un dictionnaire.
c) Vous essayez de deviner le sens des mots inconnus en vous appuyant sur leur contexte.
d) Vous demandez la signification du mot à votre voisin ou au professeur.
 
En situation d'apprentissage,
 
a) vous trouvez que les fiches de lecture guidée vous aident à mieux comprendre.
b) vous estimez que les fiches de lecture guidée ne vous servent à rien.
c) vous êtes gêné par les fiches de lecture parce qu'elles vous empêchent d'organiser votre parcours comme vous le voulez.
 
 
 
Choisissez 3 critères parmi ceux qui suivent et classez-les par ordre d'importance de 1 à 3.
 
Vous avez l'impression d'avoir plus de difficultés à comprendre lorsque:
 
O il y a dans le texte beaucoup de mots que vous ne connaissez pas.
O l'articulation du texte est peu claire.
O les structures grammaticales et syntaxiques sont complexes.
O le thème ou le domaine vous est étranger.
O le sujet ne vous intéresse pas.
O il y a trop de références à la culture française.
O il y a trop de références à l'actualité.
O la présentation du texte est compacte (sans division en paragraphes, sans intertitres).
 
 
Choisissez 3 critères parmi ceux qui suivent et classez-les par ordre d'importance de 1 à 3.
 
Les activités de lecture que vous avez effectuées en classe,
 
O vous ont permis d'acquérir de nouvelles stratégies de lecture et par conséquent de mieux comprendre ce que vous lisez.
O vous ont permis d'acquérir des compétences lexicales.
O vous ont permis d'acquérir des compétences grammaticales et syntaxiques.
O vous ont permis de vous familiariser avec la culture française.
O vous ont donné envie de lire en français en dehors de la classe.
O ne vous ont été d'aucune utilité pour l'apprentissage de la langue.
 
 
PLANTU
Le Monde, 19 mai 2000