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- LOUVAIN
1948
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- Je pense
souvent à mon départ de
Catane
- J'étais
plein de jeunesse et de fougue
- Et mon esprit
courait vers de nouvelles formes de
vie
- Encore
ignorées dans mon île.
- Un copain
d'études partageait mes
rêves,
- grand, mince,
pâle,
- ivre d'une
grande soif de savoir
- et d'une
robuste faim de tout,
- sauf de
raisins. Il s'en nourrissait tous les
jours.
- Il fut le
seul, pendant un grand nombre
d'années,
- a
m'encourager à
résister
- aux
brouillards du Nord, aux inimitiés de ces
gens.
- Le
départ rendit encore plus
lointain
- du reste du
monde, vers lequel nous allions,
- ce Sud
passionnant et immobile.
- Maintenant
où es-tu mon ami ?
- Homme de
lettres ou écrivain
- sous quels
cieux, en quels pays ?
- te
souvient-tu encore de ce si doux vieux
temps
- de nos
voyages simples et vagabonds ?
- Vers Louvain,
en pays flamand ?
- Songes-tu
encore, cher ami,
- à ces
jours lointains,
- es-tu
resté fidèle à tes feuilles
blanches, à tes
écrits ?
- Pour moi je
tombe dans l'avenir
- avec la force
de mon dur passé
- d'émigrant
de la pensée.
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- A MAURICE
PRIGNIEL
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- Pour vous je
ne sais comment commencer
- tellement
notre rencontre a été
fortuite
- dans le
simple et silencieux restaurant de
Séville.
- C'était
le printemps, et l'air tout autour
- était
parfumé. Le soleil venait de
disparaître,
- et cela nous
rendait comme fous
- de paix et de
mystère.
- Loulou et
moi, je m'en souviens encore,
- avions
découvert le lieu qui se
cachait
- derrière
le dédale de las Sierpes, avec
l'intention
- d'y rester
seuls dans un abandon muet.
- Mais vous
êtes venu à notre aide
- dans un
espagnol si parfait,
- rectifiant
les demandes qu'en vain
- nous faisions
à notre hôte.
- Toute la nuit
nous avons parlé
- votre
chère et douce langue.
- Je me
rappelle encore avec quelle
distinction
- vous vous
êtes approché
- après
avoir promptement achevé de
dîner.
- Nous avons
appris que depuis des années
- vous aviez
laissé l'enseignement
- et votre
école parisienne,
- que vous
viviez à présent des
joies
- et du doux
soleil d'Espagne,
- que vous
étiez seul depuis toujours,
- depuis mille
ans peut-être, et que vous aviez
enseigné
- l'art, les
lettres, le beau et que vous
étiez
- un vieux
chevalier héroïque
- des temps
passés.
- Le soir
vint ; la nuit,
- que la lune
rendait plus tendre encore,
- nous
écoutions les chants tristes des
flamencos
- qui dans
l'air de la fête montaient comme des
flèches
- Leurs cris
aigus remplissaient notre monde et
vous,
- professeur
antique et sage, vous saviez que nous
étions
- déjà
prisonniers de leur charme.
- Nous nous
sommes revus, je dirais toujours,
- le jour e la
nuit, pour admirer ensemble
- la couleur,
et l'art, et toutes les choses
- dont nous ne
nous rassasions plus.
- Rapides, nous
engloutissions l'espace et le temps.
- Les villages
éblouissants de blancheur,
- nous
apparaissaient comme de mystérieux
soleils
- qui
scintillaient au lion.
- Et
après Italica l'antique, avec son
empereur
- toujours
présent,
- nous avons
découvert les autres chemins de
l'Andalousie.
- Ou soir
rempli d'étoiles, ce vieux bourg
étonnant
- de Carmona
nous ravit.
- La lune se
cachaitÖ
- Cher vieil
ami des temps passés
- notre
séparation ne fut
- ni un adieu,
ni un salut,
- à
peine un au revoir.
- Maintenant me
voici
- riche
d'idées et de soucis,
- et je fouille
dans ma pensée
- pour y
revivre les meilleurs souvenirs
- des jours
envolés.
- Ce n'est pas
à la recherche de mon
passé,
- ni du
souvenirs de notre rencontre, si
bonne,
- c'est
seulement pour vous dire merci,
- que je
reviens vers vous avec ces simples
mots.
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- PARIS D'HIER ET
DE TOUJOURS
Paris que
j'ai connu jadis
était
assez différent d'aujourd'hui
même si
vivent encore les kermesses
les
music-halls et les gens
spéciaux;
à
jamais son âme est perdue.
Dans l'air
sombre et frais
du matin ou
du crépuscule
un
accordéon triste et rauque
résonne
faussement près du
métro
qui engloutit
des milliers d'enragés.
Au
café concert ou au Cabaret
personne ne
rit plus,
les
chansonnier essaient vainement
de pincer les
clients
pour qu'ils
ne meurent pas d'ennui.
La vieille
Tour Eiffel s'estompe
devant les
nouvelles tours hardies et
étranges
elle est vide
et sans avenir,
elle a eu son
heure de gloire
quand elle
représentait la France.
A Pigalle,
Montmartre ou Clichy
à
Ménilmontant ou au Bois
la ronde des
professionnelles de l'amour
n'a plus ce
charme ancien
ces promesses
cachées ; tout est offert
d'avance!
Je ne vois
plus, de ma maison de Montmartre
dominant la
petit place du Calvaire,
ton
étendue, ô vieux Paris,
et vainement
j'ai cherché mes copains
Place du
Tertre ou sur les vieux
marchés.
A l'ancien
« Cabaret des
Assassin »
où je
passais mes longues nuits,
l'ambiance
n'est plus la même
les
désargentés le fréquentent
encore,
mais leurs
discours sont pleins de
mystère.
Je retourne
maintes fois
admirer, muet
et triste,
la Place des
Vosges et ses vieilles demeures
en
rêvant aux trois pièces
célèbres
où
vivait Madame de
Sévigné.
Mes
flâneries sont folles :
j'erre dans
la curieuse rue Cardinale
à
Saint Germain-des-Prés,
dans la
silencieuse rue de Furstenberg
et le long
des veilles rues estudiantines.
Les
Carmélites de la rue
Saint-Jacques,
le couvent
des Feuillantines
où
l'on enfermait librement
de temps an
temps des femmes infidèles,
l'infernale
cour des miracles.
La vieux
Café Procope,
ancien foyer
de vie et de nouvelles,
rendez-vous
du temps passé
des gens qui
furent et ne sont plus
et enfin le
cimetière du Père
Lachaise!
Aux Halles,
"ventre de Paris"
je
m'arrêtais au "Chien qui
fume"
à
quatre au cinque heures du
matin ;
escargots,
pieds de porc, soupe à
l'oignon
anéantissaient
mes amours échauffés.
Depuis
cinquante ans je reviens
en
pensées dans cette ville de
fête
et je ressens
en moi sa joie perdue
mais jamais
oubliée, même si de soudains
amours
ont ouvert
mon âme à l'univers.
Bonjour mon
vieux Paris !
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-
- UNE DROLE DE
FENETRE
Ma
fenêtre, grande et vide
en bois
noirci par le temps,
s'ouvre, avec
ses vitres clairs,
sur la Via
Veneto.
En bas, des
autos par centaines,
et quelques
carrosses romains,
une foule
multicolore,
qui passe,
qui se promène
et qui vit
tout doucement,
gaiement,
parmi le
bruit, les voix, les sons.
Toute ce
monde-là
que je ne
vois guère,
je le sens
dans l'air,
je le sens
tout en moi.
Si je reste
assis à lire
dans le calme
de mon fauteuil
je ne vois
que palais somptueux et croulants,
rouge
pâle ou rose antique,
toits plats,
terrasses, balcons,
les longues
tiges de fer des antennes de
télévision
qui au bout
de chaque maison forment au curieux
cimetière
de croix
noires et impossibles.
Si je veux
sentir et vivre
la pulsation
de la vie
le cri
cérébral de ces gens
qui discutent
d'amours ou d'affaires
indifféremment,
indéfiniment,
qui courent,
qui flânent dans ce doux
soleil,
je me penche
alors
sur cette rue
que j'aime.
Ma
fenêtre
grande et
vide
se
remplit
comme un
tableau de maître,
je deviens en
un mot
un
spectateur
incommode et
silencieux
de la vie
moderne.
Je reste des
heures
à
regarder les gens
pour me
remplir de vie extérieure,
de
héros méconnus,
insignifiants.
Dans cette
rue étrange et chaude
un jour
lointain
j'ai
ramassé une fleur bleue.
Enfin voici
la nuit
les
mêmes gens circulent
avec leur
longues chevelures,
leur
blue-jeans sales effilochés
quelques uns
même sans chaussures,
Tout font une
drôle de tête.
Certes, j'ai
vu aussi des imbéciles
heureux,
des reines,
des seigneurs tout de noir
habillés,
j'ai aussi
ramassé dans cette jolie rue
papiers,
foulards, lunettes,
un chapeau de
cow-boy
et même
une culotte
et je ne sais
plus quoi.
Parfois j'ai
même eu peur
et dû
chercher abri
à
l'intérieur de ma
fenêtre
et de
là-haut j'ai pu
continuer
à vivre
à
regarder, à écouter
et même
à imaginer
le sort de
tous ces gens
qui ont la
curiosité ou la chance
de vivre
l'aventure
de cette
cynique via Veneto.
Une autre
fois j'ai rencontré
une dame du
temps passé,
à
l'aube d'un matin
d'été
bavardant
avec des hippies,
j'ai entrevu
un roi
qui cherchait
sa couronne;
il l'avait
égarée.
Un triste
jour de dimanche
j'ai
croisé ici
une danseuse
noire et un joli chinois,
des
politiciens, des ministres,
des artistes
et des viveurs
qui
buvaient
et des
buveurs qui vivaient,
des
maquereaux,
des hommes
sages
et des
idéalistes qui chantaient en
vers.
Dans cette
rue, tous ces gens là
entremêlés,
l'hiver,
l'été,
le jour, le
soir
je les ai
rencontrés,
côtoyés
au cours de
ces années
passées
à Rome.
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- C'ETAIT UNE
FEMME
Ce joli
être qui vient le soir
et qui un
jour s'en ira pourtant,
est comme une
bouffée de vent
qui me
remplit l'esprit.
Cette
fabuleuse créature
venant de
terre voisines
a
brisé le calme de mon
désespoir
pour devenir
curiosité de vie.
C'est une
véritable Dame
fine et
rusée, je vous le jure,
un
mélange de bien et de
mal :
yeux
bistrés, lèvres
passionnantes
de femme qui
sait parfaitement.
Elle aime me
sourire malicieusement
en me
regardant de biais.
Si sa parole
s'arrête soudaine
pour un geste
d'amour inattendu,
alors'je me
surprends à rougir.
Mais si sa
main parfois m'effleure,
bouleversant
presque mon âme,
je la regarde
dans les yeux
pour la
remercier de la grâce qu'elle me
fait.
C'était
une femme comme jamais
qui vit avec
arrogance et morgue;
c'est sur le
fil de la raison
la
façon de se moquer
de
soi-même et de son prochain.
Avec ses
lettres et ses sciences
elle
désarme tous par ses yeux
verts,
intensément voyants.
Son corps
hardi est près de moi;
moi seul,
sans défense et ému.
C'était
un femme d'autrefois
qui aime
bouleverser le soir
par son
intelligence et par sa nature
belle,
rusée et même cruelle,
moitié
catin, moitié vertu.
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